DES PEPITES DANS LE GOUDRON

DES PEPITES DANS LE GOUDRON

Leonard Knight (1931-2014), Salvation Mountain, Inland, California, 2010.

Puisque les créateurs qui vont décider de notre itinéraire étazunien ne s’accrochent pas de but en blanc au manche d’un pinceau et ne s’arrêtent pas aux quatre coins d’une toile, on coupera notre moteur devant des œuvres aux formes inédites et heureuses qu’on a coutume d’appeler les « environnements ».
Derrière ce sobriquet on ne peut moins poétique se cachent des univers inspirés, détournant, oubliant ou refusant les principes établis de l’architecture, de la sculpture ou de la peinture. Aux États-Unis, les environnements bruts sont aussi nombreux qu’imposants. Est-ce la grandeur des paysages ? La disponibilité des espaces, ruraux pour la plupart (85% du territoire), qui laissent autant de place au délire ? Certainement, mais pas que. L’Amérique, c’est aussi et historiquement une terre d’exilés qui ont rejoint, de gré ou de force, le Nouveau Monde. L’exil a très certainement motivé pour certains la création d’un environnement propre, dans l’idée ou l’instinct d’y recréer son propre territoire, sa propre histoire. La violence de l’histoire pour ces populations fut-elle, comme pour le blues, un moteur au refuge dans la création ? Afroaméricains, Italo-américains, Latino-américains entre autres, sont très représentés dans ces créateurs d’environnements.
« Émigrer, c’est perdre sa langue et son domicile, être défini par les autres, devenir invisible ou, pire encore, une cible ; c’est vivre des changements profonds et des déchirures de l’âme. »* Salman Rushdie.

W.T. Ratcliffe (1882-1956), Boulder Park, Jacumba, California, 2010.

Quant à la dimension même des « œuvres », on peut supposer qu’elle colle simplement à l’image de démesure américaine, qu’elle soit matérielle ou plus spirituelle, et les environnements comme la Salvation Moutain (La Montagne du Salut) ou le Mindfield (le Champ de l’Esprit) en sont des exemples probants.
Enfin, il y a le moule bien beurré du citoyen américain, qui reste quand même un bon engrais à la marginalité et à l’effet cocotte-minute. Quel sacré plaisir a dû prendre John Milkovitch, au beau milieu d’une banlieue pavillonnaire de Houston, où le thuya-boule du voisin de gauche est le même que le thuya-boule du voisin de droite, à transformer son pavillon en un curieux temple de canettes de bières ?
Loin d’un catalogue exhaustif d’environnements américains, ce bouquin est un simple carnet de voyage, un road-tripes sans GPS et entièrement guidé par cette passion viscérale, qui nous aura menés, ma femme et moi, à découvrir ces quelques chouettes endroits parmi tous ceux que compte les États-Unis, et Dieu sait qu’ils sont plus nombreux que lui.
On roulera alors, sans visa aucun, d’un petit chef-d’œuvre d’art populaire à un environnement inspiré au plus haut lieu.
Donnons un bon coup de boots dans la boîte à étiquettes et chaussons nos lunettes à apprécier les belles choses.
Simplement. Let’s go les apaches !